Préface par le général DURAND, général adjoint au directeur de l'enseignement supérieur (DEMS), ancien commandant de l'école d'application de l'artillerie.

L'artillerie se vit et se voit comme une arme de combat et une arme de l'avant, c'est d'ailleurs ainsi que la caractérisait le général inspecteur de l'armée de terre au cours d'une adresse à l'École d'Artillerie. Les opérations extérieures, et d'abord l'Afghanistan, la plus exigeante, l'ont replacée en première ligne, tant il est clair que, dès lors que l'on est confronté à de vrais combats, face à un adversaire mordant et déterminé et que l'on enregistre des pertes significatives, l'appui feu reprend naturellement ses droits. Ainsi, le taux d'emploi de l'artillerie (conjugué avec ses nouvelles structures) se situait-il parmi les plus élevés de l'armée de Terre voilà encore quelques mois. La coordination des appuis feux, valorisée par une nouvelle organisation et un cadre conceptuel et doctrinal profondément remanié, se pose désormais en fonction opérationnelle pleine et entière des PC de SGTIA et de GTIA, ancrée sur une véritable logique de métier. Cette coordination de tous les vecteurs de l'appui feu (1) et, partant, de toutes les trajectoires, replace la CI3D (2) en facteur déterminant de la liberté d'action et de la maîtrise de l'ensemble de l'espace et du "ciel" de bataille du GTIA et de la brigade, et est, là encore, affaire de métier, et de métier d'artilleur. Une évolution corrélative, et non la moindre, tient à la prégnance du fait interarmes, désormais acquise dans les esprits, bien au-delà des données théoriques. Désormais, on ne pense plus compagnie, escadron ou régiment, mais bien SGTIA et GTIA, et on pense systématiquement appui feu. "Pas un pas sans appuis", la formule du général Thorette prend toute sa substance.
Le visage de l'artillerie aujourd'hui, c'est donc celui d'équipes de pièce canon-mortier ou de sections MISTRAL évoluant dans des structures souples, pour qui le feu et la réaction immédiate face à toute menace sont des réalités, souvent quotidiennes, avec la satisfaction de "faire le job", d'être prêt et d'agir, quoi qu'il arrive. Du binôme de pièces au sous-groupement de 4 ou 8 tubes, les aptitudes offertes par les systèmes de commandement, de liaison et de gestion des tirs offrent une large variété de possibilités de déploiement et de reconfiguration.

Le visage de l'artillerie aujourd'hui, c'est celui des équipes des DLOC, à la fois spécialisées et polyvalentes, motorisées sur VAB, mais plus fréquemment débarquées, avec 40 à 45 kg d'équipements sur le dos, intégrées comme un "pion" de combat et appelées à réagir et penser comme des fantassins dans la sûreté de leur environnement, confrontées à la maîtrise de situations complexes dans un dispositif tactique mouvant ; s'y superpose bien sûr la coordination des tirs et des vecteurs aériens, la gestion de leur positionnement et de leur choix d'organisation des tâches. Le tout sur fond de stress du combattant de l'avant et, quelquefois, d'exaltation face à la puissance et à l'efficacité des interventions de feux, qui, en cette première décennie du XXIe siècle, procèdent toujours de "l'autre terreur après la foudre" (3).

Derrière cet engagement, se situe un vrai bilan, au sens militaire premier, certes, mais surtout, au sens d'actifs acquis, construits, détachement après détachement : Dans la presque totalité des engagements armés sur le théâtre afghan, la reprise d'initiative a été conditionnée par les actions de feux, par ailleurs lourdes de conséquences dans les dommages infligés à l'adversaire (4).

Surtout, un capital de confiance inappréciable s'est développé entre "ceux de la mêlée" et "leurs" artilleurs.

Enfin, le visage de l'artillerie, aujourd'hui, on le retrouve, aussi, parmi les équipes OMLT, avec la fierté de voir nos soldats renouer si bien avec l'esprit de leurs anciens, dans une immersion dans la guerre et auprès des combattants "locaux" particulièrement exigeante, marquée par une dimension humaine intense.


Cette nouvelle dynamique d'emploi va de pair avec la concrétisation de capacités nouvelles ou plus accusées, à travers l'accès au 3e cycle de renouvellement de nos matériels majeurs, dans une artillerie affirmant ainsi sa vitalité. CAESAR vient renforcer le MO120 et élargir son domaine d'action et de tir, offrant de nouvelles combinaisons dans les zones d'intervention. Son déploiement en opérations dès les premiers mois de sa mise en service illustre une logique volontariste d'emploi immédiat de nos nouveaux équipements. Son agilité, sa réactivité et sa puissance de feux, ne manquent pas de susciter, à chaque démonstration, une bouffée d'orgueil chez les "chefs" d'artillerie de tous niveaux. La gamme des effets terminaux déjà accessibles du fait de la diversité des munitions a remis au goût du jour des types d'intervention liés à l'emploi tactique des fumigènes, des fusants et des éclairants, prolongés par les nouveaux éclairants infrarouges de 120 mm, mettant en relief des effets secondaires intéressants en matière d'avertissement, de dissuasion, de déception ou de renseignement.

Elle s'enrichira demain des munitions de précision à correction de trajectoire allant de pair avec l'allongement des portées et, à très courte échéance, de la mise en service du LRU. Avec une précision terminale de quelques mètres, délivrant des feux jusqu'à 70 km dans un cadre d'emploi allant de l'appui direct au targeting de niveau théâtre, ce système, dont la souplesse d'action est identique à celle du canon, inscrit ses interventions dans un triptyque "permanence - tous temps - adaptation tactique à la manœuvre interarmes". Il se posera donc en outil de combat précieux, pouvant aisément offrir une alternative maîtrisée à certaines frappes d'avions, trop puissantes dans leurs effets. La défense anti-aérienne de nos dispositifs reste d'actualité, la Côte d'Ivoire l'a tragiquement illustré. Le maintien à niveau du système MISTRAL (bientôt NG), adapté à des cibles plus fugaces, son association avec le canon de 20 mm, devront rester garants de la protection de nos unités. Au-delà de la coordination des interventions anti-aériennes, la liberté d'action de toute force terrestre suppose de connaître la situation dans l'espace et la "bulle" de bataille, et de pouvoir en gérer les paramètres et les contraintes d'intervention dans la 3e dimension; c'est tout l'enjeu de la mise en service de MARTHA.
Tout ceci pour souligner que l'artillerie s'appuie sur un véritable projet d'évolution, et, à ce titre, regarde son avenir avec confiance. Elle dispose ou s'apprête à se doter de capacités étroitement corrélées aux besoins de l'armée de terre et se présente en ordre cohérent face aux choix du futur.
L'artillerie, enfin, met la dernière main à la transformation de ses structures et de ses processus de gestion des ressources humaines. L'alignement sur le nouveau contrat opérationnel se traduit de facto par une rétraction de son ordre de bataille, dont il faut prendre acte, tout en remarquant que le spectre complet des capacités a été préservé. En revanche, une nouvelle dynamique, faite d'un supplément d'unité et d'ouverture, est sous-jacente à ces changements.
L'unité se diffuse par la fusion au sein d'un seul domaine de gestion, réduit à trois filières (5), qu'autorisent le recouvrement des missions et la proximité des métiers.
L'unité se renforce à travers la mise sur pied de régiments multi-composantes, regroupant canons et SATCP.

L'unité se forge par la communauté d'expérience et le caractère interchangeable des régiments, confrontés aux exigences des opérations.

L'intégration des BRB dans l'organigramme des régiments, dès lors parties prenantes de leur instruction, concrétise le lien naturel entre renseignement de manœuvre, tirs d'opportunité et renseignement d'objectif.

L'effet d'ouverture induit par la nouvelle organisation se retrouve également dans l'élargissement de l'univers opérationnel des brigades, avec une nouvelle composante sol-air à prendre en compte, dont la préparation opérationnelle et les orientations d'emploi reposent sur le régiment d'artillerie.

L'ancrage interarmes de l'artillerie s'en trouve renforcé.

C'est un point fondamental, alors que - c'était un principe voulu par l'armée de terre dans la réorganisation - la place et l'efficacité de l'artillerie reposent sur cette présence organique, physique, au sein des brigades, et sur les liens tissés dans la préparation opérationnelle au quotidien.
Au bilan, une artillerie plus resserrée certes, mais plus nerveuse, plus affûtée, plus homogène, faite de beaux régiments à forte identité et au passé glorieux. Elle se veut fière de son passé, plus forte des acquis de son présent, et déterminée à construire son avenir. Elle a toutefois conscience d'avoir atteint un "seuil" en termes de dimensionnement (adaptation à la structure des brigades et volume restreint des composantes intra-régiments) et de capacités d'entraînement de niveau "groupement d'artillerie".
Dans cet ensemble, nos trois régiments d'artillerie de Marine tiennent toute leur place, étroitement liés à la communauté des feux dans la camaraderie et la fraternité d'armes propre aux artilleurs, dans la cohérence d'emploi et la préparation de l'avenir, sans oublier l'attachement au patrimoine de traditions placé sous la haute figure de Sainte Barbe (abondance de figures célestes bienveillantes ne nuit pas). Leur identité profonde n'en reste pas moins celle des troupes de Marine, dans un héritage de gloire dont nos étendards portent le poids, dans une spécificité et une culture qui sont loin d'être exclusives, mais qui doivent impérativement être préservées et partagées, du plus jeune Bigor au colonel. A tous mes jeunes camarades, je ne peux donc que conseiller de savoir s'approprier la fierté consubstantielle à l'artillerie de Marine, et de s'arc-bouter sur un solide héritage de valeurs, toujours d'actualité :

  • la fermeté, la détermination, l'énergie et l'envergure de vues de Borgnis-Desbordes et d'Archinard, conquérants du Haut-Sénégal et du Soudan,
  • la noblesse de cœur et d'esprit de Psichari, grande figure spirituelle du début du XXe siècle, acteur de "la conquête" et héros de la bataille de Rossignol en 1914,
  • l'agressivité, l'imagination et l'adaptation à des configurations inédites, de Ceccaldi, l'artilleur de Koufra,
  • la force d'âme, le sens du sacrifice et de la grandeur du général Lemonnier, décapité à Lang-Son pour avoir refusé de capituler,
  • l'intelligence de milieu, la souplesse et la polyvalence, celle du soldat qui écrase tout côté "technicien", avec le Commando Bergerol, unité d'élite de la Cochinchine,
  • la ténacité, la combativité et l'acharnement à tenir, du lieutenant Brunbrouck, héros de Dien-Bien-Phu.

La liste des références et des figures est, bien sûr, loin d'être exhaustive. La continuer et la prolonger vous appartient, pour qu'au nom de Dieu ...

Vive la Coloniale !

Général Thierry DURAND

(1) Canons, mortiers, lance-roquettes, artillerie navale, hélicoptères d'attaque et avions d'arme, français et alliés.
(2) Coordination des Intervenants dans la 3e Dimension ; au premier chef ceux de l'armée de Terre (projectiles, drones, hélicoptères), complétés par les avions.
(3) L'autre terreur après la foudre, Alter post fulmina terror", devise des bombardiers et canonniers de Marine sous Louis XV et Louis XVI.
(4) Pas loin de 40 % des pertes adverses dues à l'action des feux.
(5) Filières CAF.AF et DSA.

LEXIQUE

AF : agression par le feu.
AFH : appui-feu hélicoptère.
ATLAS : automatisation des tirs et des liaisons de l'artillerie sol-sol.
BRB : batterie de renseignement brigade.
CAESAR : camion équipé d'un système d'artillerie.
CAF : coordination des appuis feux.
CAS : appui aérien rapproché.
COP : poste de combat.
Compound : habitation traditionnelle afghane.
DLOC : détachement de liaison d'observation et de coordination.
DRAC : drone de reconnaissance au contact.
DSA : défense sol-air.
EO : équipes d'observation.
IED/EEI : engin explosif improvisé.
FOB : base opérationnelle avancée.
(S)GTIA : (sous) groupement tactique interarmes.
LRU : lance roquette unitaire.
MARTHA : système de maillage des radars tactiques pour la lutte contre les hélicoptères et les aéronefs.
MISTRAL : missile transportable antiaérien léger.
NEB : numérisation de l'espace de bataille.
OMLT : operational mentoring and liaison team.
RASIT : radar de surveillance intermédiaire.
RATAC : radar de tir de l'artillerie de campagne.
RECINF : recueil de l'information.
ROEM : renseignement d'origine électromagnétique.
ROHUM : renseignement d'origine humaine.
ROIM : renseignement d'origine image.
SA2R (Fr)/ ISTAR (OTAN) surveillance, acquisition de cibles; reconnaissance et renseignement.
SATCP : sol-air à très courte portée.
TACP : tactical air control party.




Crédit photos : © 1er RAMa / © 3e RAMa / © 11e RAMa / © Sirpa Terre : G. Gesquière, J.-R. Drahi, J.-C. Thorel, C. Quintin, J. de Vos / © ECPAD / © EMA-mediadev / © Formations des troupes de marine / © DR.

AOB 387 mars - avril 2012
















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